Disparition de la cinéaste Patricia Moraz

Divers 23 avril 2019

La Cinémathèque suisse est triste de devoir annoncer le décès, le 16 avril dernier à Paris, à l’âge de 79 ans, de l’une des pionnières du nouveau cinéma suisse romand, l’une des rares femmes à s’être frayé un chemin dans cet univers essentiellement masculin dans les années 1960 et 1970. Née à Sallanches (Haute-Savoie) en 1939, Patricia Moraz était à la fois scénariste, réalisatrice et productrice française et suisse.
Après avoir passé son enfance en Suisse et en Algérie et travaillé comme enseignante et journaliste, c’est comme comédienne qu’elle débute dans le cinéma suisse romand. En 1968, elle incarne le personnage de Patricia dans le segment du même nom réalisé par Francis Reusser dans le film collectif Quatre d’entre elles. Elle co-écrit avec le même Francis Reusser Vive la mort, en 1969, présenté à la première Quinzaine des réalisateurs à Cannes, et, toujours avec lui, co-écrit les dialogues de Le grand soir en 1976, qui remportera le Léopard d’Or à Locarno. Elle co-signe aussi le scénario du film de Jean-Louis Roy Black Out, produit par le Groupe 5, en 1970. Proche d’Alain Tanner, Michel Soutter ou Claude Goretta, elle se lance ensuite dans l’écriture et la réalisation de deux longs métrages de fiction qui vont rester comme deux météores essentiels au sein du cinéma suisse romand.
Tout d’abord, en 1977, Les Indiens sont encore loin, présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes et primé à Locarno, réunit devant la caméra Isabelle Huppert, Christine Pascal, Nicole Garcia et Mathieu Carrière. Le film retrace, jour après jour, les derniers instants d’une lycéenne de 17 ans retrouvée morte dans la neige, dans les bois aux alentours de Lausanne. Le film n'en explique pas la fin brutale pas plus qu’il ne désigne des responsables, mais tend à restituer, entre ombres et lumière, silence et mots, le climat émotionnel de l'adolescence, reconstituant à travers les personnages le paysage social et mental qui a rendu cette mort possible autant qu'imprévisible.
Puis, en 1979, Patricia Moraz écrit et réalise Le Chemin perdu, lauréat du Prix Georges Sadoul, qui est l’un des rares films à raconter le souvenir des luttes ouvrières et plus particulièrement les liens entre les montagnes jurassiennes (et plus particulièrement La Chaux-de-Fonds) avec le communisme. Autour de la figure du patriarche Léon Schwarz (incarné par Charles Vanel) qui avait serré la main de Lénine, et dans l’attente du cortège du 1er mai, elle réunit Christine Pascal, Magali Noël et Delphine Seyrig autour du «chemin perdu», terme technique indiquant une phase de suspension de fonctionnement d’une montre mécanique.
Elle se lance ensuite dans la production, notamment du célèbre premier film de Leos Carax, Boy Meets Girl (1984) ainsi que son film suivant Mauvais sang (1986). Elle participe également à la production de La bête noire de Patrick Chaput (1983), Les Sacrifiés de Okacha Touita (1983) ou de Rouge Midi de Robert Guédiguian (1985). On la retrouve plus tard revenir au scénario avec l’écriture de Malina de l’Allemand Werner Schroeter (1991), en collaboration avec la dramaturge autrichienne Elfriede Jelinek et d’après le roman de Ingeborg Bachmann. Elle a également collaboré à l’écriture de plusieurs pièces de théâtre notamment la Compagnie du Hasard de Nicolas Peskine et le Théâtre de L'Ecrou.
Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres, elle participe à la fondation de la Femis en 1986 et y enseigne au département scénario et production.
Elle était aussi la sœur du musicien et compositeur Patrick Moraz, claviériste pour des groupes aussi célèbre que Yes et The Moody Bues. Il a composé la musique des deux films réalisés par sa sœur et a aussi signé les bandes originales de nombreux films romands comme Vive la mort de Francis Reusser, La Salamandre et Le milieu du monde de Alain Tanner, L’invitation et Pas si méchant que ça de Claude Goretta, et Les vilaines manières de Simon Edelstein.
La cérémonie d’adieu à cette grande dame de notre cinéma aura lieu au crématorium du cimetière du Père Lachaise (entrée Gambetta) à Paris le jeudi 25 Avril à 13h30.
Frédéric Maire

Patricia Moraz sur le tournage de son film Les Indiens sont encore loin (1977)
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