C’est dans la plus grande discrétion qu’Ana Simon est décédée chez elle, dans son sommeil, le 27 décembre dernier, à l’âge de 80 ans. Et c’est dans la plus stricte intimité que ses cendres viennent de rejoindre la tombe de son mari, François Simon, au cimetière des Rois à Genève. Comme nous l’a écrit Maya Simon, elle ne souhaitait «ni cérémonie, ni fleurs, ni pleurs». Mais il nous est impossible de passer sous silence la disparition de cette femme étonnante qui, si elle a beaucoup fait pour la mémoire de son mari le comédien François Simon (et de son beau-père Michel Simon), a aussi été une grande artiste, que ce soit à travers ses films, ses recueils de poèmes (par exemple Vivre (1981), Entrevision (1985), Jardin désolé (1995)) ou ses nombreuses traductions de Mircea Eliade, de Marin Sorescu et Miguel de Unamuno.
Née en Roumanie en 1938, maîtrisant parfaitement le Français comme l’Espagnol, elle a beaucoup voyagé et fréquenté d’innombrables milieux artistiques. Dans les documents qu’Ana Simon a confié à nos archives, au fil du temps, on peut par exemple la voir sur des photos en compagnie de Mario Vargas Llosa à Lima, ou lire les lettres que lui a adressé Emil Cioran. On voit bien, au fil de son existence, que cette artiste s’est mise en quelque sorte en retrait d’elle-même pour privilégier les autres, signant de très nombreux portraits d’écrivains ou musiciens comme Constantin Brãiloiu, Clara Haskil et Dinu Lipatti.
Elle tenait aussi beaucoup à son amitié avec la femme peintre allemande Margarethe Krieger, qui a signé de beaux portraits de Michel et François Simon, et a illustré plusieurs recueils de poèmes de Ana Simon, comme Les muses endormies (2004).
De fait, comme elle le dit dans un entretien à la Radio Roumaine Internationale à l’occasion de la parution d’une biographie qui lui a été consacrée en Roumanie, Ana Simon – les étranges rencontres d’Alina Mazilu, Vasile Bogdan et Cornel Ungureanu : «Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait par admiration. Il est vrai que ma formation littéraire a joué pour beaucoup, puisque j'ai étudié la littérature universelle et comparée, ce qui a alimenté mon intérêt dans cette direction. Les artistes viennent de quelque part et ils nous dévoilent le plus possible de leur univers. Moi aussi, j'ai essayé de faire de même, en partageant mon admiration pour eux à travers un film. »
La Cinémathèque suisse avait récemment édité, avec la RTS et le soutien de Memoriav, un coffret en hommage aux deux Simon (Michel et François) comprenant notamment les deux documentaires qu’elle leur avait consacré, François Simon, la présence (1986, co-réalisé par Louis Mouchet) et Simon, père et fils (1995, co-réalisé par Michel Boujut). Un coffret que nous avions verni en sa présence en janvier 2014. Enfin, à l’occasion d’une récente projection de l’une de ses dernières réalisations à la Fondation Bodmer, Sortilèges de Genève, parcours entre sa poésie et sa ville d’adoption, Ana Simon écrivait : «Je fais miennes les lignes de Pontalis : “Je ne fais pas des films pour une cause, encore moins pour des spécialistes, mais pour un proche qui est lointain, cet inconnu qui a la grâce frémissante d’être proche de moi tout en n’étant pas moi : le témoin invisible qui justifiera l’invisible”».
Frédéric Maire
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