Le cinéaste Alvaro Bizzarri, grand témoin de l’immigration italienne en Suisse, est décédé le 5 décembre dernier à Pistoia, en Toscane, à l’âge de 90 ans.
Né en 1934 à San Marcello, un village de Toscane, Alvaro Bizzarri a émigré en Suisse avec son père à sa majorité, en 1955. Il travaille d’abord comme soudeur à Baden, puis comme vendeur dans un magasin de photo à Bienne. Il se passionne pour le cinéma au sein du ciné-club de la Colonia libera italiana qui, à l’époque, propose de très nombreuses projections de films en tous genres en 16mm. Empruntant une caméra 8mm dans le magasin où il travaille, il décide de raconter à ses pairs – et au reste du monde – la dure réalité des saisonniers, corvéables à merci et interdits de famille.
Son film de fiction le plus célèbre, Lo stagionale (1971), tourné en 8mm, a fait le tour du monde. Présenté au Festival du Cinéma libre de Porretta Terme, il y est vu par Gian Maria Volontè et le réalisateur Elio Petri, qui y présentent La classe operaia va in paradiso. Ceux-ci, enthousiastes, paient le gonflage du film en 35mm pour permettre son exploitation dans tout le pays. Le film sera également projeté et primé au Forum du Jeune cinéma du Festival de Berlin !
A partir de là, sans jamais cesser de travailler dans son magasin, Bizzarri se professionnalise peu à peu, passe du 8mm au super 8 puis au 16mm et à la vidéo, réalisant film sur film à la fois documentaire et de fiction, comme Il treno del sud (1970) ou Pagine di vita dell’emigrazione (1973), filmant volontiers tous les événements – notamment politiques – qui rythment son quotidien. Son archive est un véritable trésor audiovisuel qui documente, de l’intérieur, la réalité et les problématiques de la vie des immigrés italiens en Suisse – ainsi que celle de leur retour au pays.
Marié à une Suissesse et donc Helvète d’adoption, Bizzarri a choisi de retourner s’installer à Pistoia après sa retraite, tout en restant un cinéaste «suisse», inscrit à l’association de gestion des droits d’auteurs audiovisuels suisse. Et s’il se sentait avant tout italien, il a toujours regretté que son pays natal ne s’intéresse pas vraiment à lui et à son travail, comme si sa vision de l’immigration continuait à poser un problème à l’Italie contemporaine.
Grâce au travail de la sociologue et historienne Morena La Barba et des cinéastes lausannois de Climage, avec la collaboration de la Cinémathèque suisse et de la RTS, un coffret dvd contenant certains de ses films a été édité en 2009 et le Festival du film de Locarno lui a rendu hommage la même année.
A partir de là, peu à peu et plus concrètement à partir de 2015, Bizzarri a accepté de déposer progressivement ses riches archives à la Cinémathèque suisse. Nous avons ainsi pu restaurer certains de ses films, en collaboration avec lui, notamment Lo stagionale qui a été présenté au Festival du jeune cinéma à Turin en 2020 et ensuite un peu partout dans le monde. Nous avions d’ailleurs projeté certains de ses films une nouvelle fois en 2021 à l’occasion de l’exposition du Musée historique de Lausanne sur 150 ans d’immigration italienne, notamment ll rovescio della medaglia (1974) ou Touchol (1990).
La Cinémathèque suisse et plus particulièrement les différents collaboratrices et collaborateurs qui ont longuement travaillé avec lui tiennent à lui rendre un hommage sincère, et à transmettre toutes nos pensées à son épouse et ses filles.
Frédéric Maire
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Alvaro Bizzarri. Collection Cinémathèque suisse. Tous droits réservés.