Le 26 décembre, dans les lumières de Noël et dans la discrétion, le grand cinéaste d’animation Nag Ansorge est décédé. Notre institution pleure cet ami fidèle qui fut notamment président des Amis de la Cinémathèque suisse (LACS).
D’abord, ils étaient deux. C’était Nag et Gisèle, son épouse. Dans le sous-sol de leur maison d’Etagnières, le couple Ansorge imaginait et filmait des œuvres étranges et merveilleuses, tragicomédies prophétiques d’un avenir plutôt sombre. Ils avaient développé ensemble une technique originale de cinéma d’animation qui consistait à dessiner leurs aventures fantasmagoriques avec du sable de quartz, sur une table lumineuse spécialement conçue à leur image. Leurs courts métrages ont rapidement fait le tour du monde des festivals, et ils ont ensemble reçu des dizaines de prestigieuses récompenses. A partir de 1967, Les corbeaux, Fantasmatic, Smile 1, 2, 3, Anima, Les enfants de laine, Alunissons, Le chat caméléon, Le petit garçon qui vola la lune et Sabbat racontent à la fois le monde tel que Gisèle et Nag le voyaient et tel qu’ils le rêvaient. Pharmacienne de formation, raconteuse d’histoires, peintre, écrivaine, Gisèle dessinait avec ce sable éphémère. Nag filmait, cadrait, produisait, montait, mixait. Avec l’aide, souvent, de Bernard Pichon pour la création du son et, parfois, de Thierry Fervant pour la musique. Gisèle s’en est allée en 1993. Aujourd’hui Nag nous a quitté aussi, à l’âge de 88 ans.
Nag. Derrière ce prénom étrange se cache un terrible cobra décrit dans Le Livre de la jungle (Nag est semble-t-il le mot Hindi pour désigner ce serpent). Mais avec sa touffue chevelure blanche, frisée, brillante, presque magique, Ernest dit Nag Ansorge n’avait rien de terrible. Au contraire : non content de se satisfaire de son travail de cinéaste, reconnu et réputé, Nag n’a eu de cesse de promouvoir le cinéma d’animation dans ce pays et d’aider les cinéastes plus jeunes – qui, souvent, lui doivent beaucoup. Cet ingénieur mécanicien de formation prêtait volontiers caméras, trucs et machin(e)s afin de permettre aux apprentis créateurs de réaliser leurs rêves. Frappé par l’appel de l’Abbé Pierre en 1957 à Zürich, Nag Ansorge ne sera jamais bien loin des démunis. Il restera toujours très proche de la Communauté des Chiffonniers d’Emmaüs, dont il présidera l’Association. Il fera d’ailleurs quelques voyages au Brésil, auprès de sa sœur Gertrude, qui s’occupait de deux centres pour les enfants des rues, dans le Nordeste.
Cinéaste, poète et bricoleur, Nag Ansorge s’est aussi rendu célèbre pour son travail auprès des malades de l’asile psychiatrique de Cery, de 1962 à 1981 dans le cadre du Centre d’études de l’expression plastique du docteur Alfred Bader, où il faisait des films avec eux, œuvres extraordinaires restées longtemps invisibles par souci de protection de la personnalité des patients. Aujourd’hui ils sont enfin régulièrement présentés au grand public, notamment en avril 2012 à la Cinémathèque suisse, en présence du Professeur Gasser (On peut en voir les images de cette présentation ici et là) Nag Ansorge a aussi été l’un des fondateurs de la formidable série de portraits filmés initiée en 1977 par Michel Bory et Jean Mayerat, Plans Fixes. En guise d’adieu, je ne peux que citer cette phrase prononcée par Nag dans le Plan Fixe qui lui a été consacré en 2009 : «C’est vrai que j’ai parfois de la peine à parler. Mais entre parler et ne rien dire, il y a le silence et l’écoute. Et je crois que ma vie a été faite d’écoute.»
Frédéric Maire